Le transport fluvial, essentiel au commerce et à la logistique en Europe, se trouve à l’aube d’une ère nouvelle avec l’hydrogène comme principal vecteur de décarbonisation. Des prototypes de bateaux à hydrogène aux moteurs innovants, le secteur s’engage résolument vers une mobilité durable.
Que ce soit le long du Rhin, du Danube ou du Rhône, le transport fluvial est un moteur essentiel du commerce et de la logistique en Europe.
Des défis à surmonter pour une transition réussie
Malgré l’enthousiasme, la transition vers l’hydrogène dans le transport fluvial européen est semée d’obstacles, notamment en termes de coûts, de réglementation et de soutien aux armateurs. Les efforts conjoints des gouvernements, des industriels et des organismes de réglementation sont cruciaux pour surmonter ces défis.
En outre, le transport de marchandises par bateau est plus efficace en termes d’émissions de CO₂ par tonne que le transport routier ou ferroviaire, selon l’Union européenne, qui prévoit de transférer davantage de marchandises de cette manière. Pourtant, si les bateaux de navigation intérieure européens sont relativement respectueux de l’environnement, il reste encore du travail à faire pour décarboniser leur propulsion.
Selon Morten Brix, directeur général de Mitsubishi Turbocharger and Engine Europe (MTEE), une société du groupe Mitsubishi Heavy Industries (MHI), le transport fluvial est soumis à une pression croissante pour abandonner le diesel comme carburant de base, tant de la part des régulateurs européens et nationaux que de la part des clients désireux d’assainir leur chaîne d’approvisionnement.
En passant à l’hydrogène, les navires qui empruntent les voies navigables intérieures peuvent à la fois minimiser les émissions et limiter la pollution de l’air et de l’eau.
Un marché normalisé mais fragmenté
À l’heure actuelle, nous estimons qu’il y a environ 15 000 bateaux sur ce réseau fluvial. Ces bateaux, tout comme ceux du secteur du transport routier, sont plus ou moins standardisés afin de pouvoir naviguer sur toutes les voies navigables et les points d’interconnexion entre elles”, explique Morten Brix.
Chaque navire a une durée de vie de 30 à 50 ans, mais certains peuvent durer jusqu’à 80 ans, précise M. Brix. Ils sont généralement propulsés par des moteurs diesel puissants, qui doivent être remplacés deux ou trois fois au cours de la vie du navire.
M. Brix ajoute que les propriétaires doivent être sûrs de préparer leurs navires pour l’avenir. Cela est d’autant plus important que la navigation intérieure compte une grande proportion de propriétaires de navires uniques – souvent des familles qui vivent également sur leurs navires – et de petites flottes.
Des options à faible émission de carbone pour les voies navigables
Alors que ces armateurs doivent prendre de grandes décisions en matière d’investissement, il existe une série d’alternatives au diesel à prendre en considération – principalement les piles à combustible et les moteurs à combustion interne qui utilisent de l’hydrogène ou du méthanol à la place du diesel.
Comme l’explique M. Brix, la technologie des batteries n’est pas encore compétitive pour les voies navigables intérieures. Si les batteries peuvent être utilisées pour les trajets courts, elles ne sont pas encore envisageables pour le transport fluvial longue distance en raison de leur autonomie limitée. Et le coût est encore élevé, ajoute-t-il. Il en va de même pour les piles à combustible, qui peuvent couvrir de plus grandes distances mais ne sont pas encore économiquement viables.
“Dans les cinq à quinze prochaines années, nous pensons que les moteurs à combustion interne (MCI) capables de passer du diesel à l’hydrogène auront de meilleures chances de succès.
À court terme, M. Brix ajoute que le MTEE s’attend à ce que le méthanol soit une option comme carburant de transition pour ces moteurs, avant qu’ils ne passent à l’hydrogène. “Pour l’instant, nous en sommes à l’étape du diesel, puis à celle du méthanol pour les sept ou huit prochaines années, avant que l’hydrogène ne commence vraiment à prendre son essor”, explique-t-il.
Une transition en douceur du diesel à l’hydrogène
Le passage des moteurs à combustion interne alimentés au diesel au méthanol, puis aux moteurs à hydrogène, est un changement relativement mineur par rapport aux autres options technologiques. La technologie des moteurs à combustion interne est utilisée depuis longtemps dans la navigation intérieure – avec une expérience de plus de 50 ans – et est facile à adapter, explique M. Brix.
“Nous prenons comme point de départ l’un de nos moteurs diesel éprouvés et nous modifions le système d’injection de carburant pour que le moteur puisse fonctionner à l’hydrogène. Nous essayons de modifier le moins possible la configuration actuelle de la salle des machines, afin que la transition se fasse en douceur et de manière efficace”.
Toutefois, les navires devront également être modifiés dans d’autres domaines, notamment en ce qui concerne le stockage et la tuyauterie du carburant. De plus, l’hydrogène est encore beaucoup plus cher que le diesel à l’heure actuelle – en particulier l’hydrogène vert, qui est entièrement fabriqué à partir d’énergies renouvelables.
Cependant, le prix de l’hydrogène devrait baisser au fur et à mesure que l’industrie des énergies renouvelables se développe. Des taxes et des pénalités plus strictes sur le carbone joueront également un rôle, ajoute M. Brix.
Soutenir les armateurs
La feuille de route technologique et réglementaire étant encore très ouverte et les coûts futurs difficiles à prévoir, il est essentiel d’aider les armateurs à préparer leur flotte à l’avenir.
M. Brix attire l’attention sur l’ambitieux programme de mobilité du gouvernement néerlandais, qui a débloqué 47 millions d’euros (52 millions de dollars) pour développer des applications d’électrification et d’hydrogène. Dans le cadre de ce programme, MTEE devrait installer son premier moteur à hydrogène sur un navire en 2025.
Outre la conversion des navires aux carburants à faible teneur en carbone, le programme de mobilité néerlandais explore également des aspects tels que le soutage de carburant le long des fleuves européens pour permettre aux navires de se ravitailler régulièrement en cours de route. Cela est important pour maximiser la capacité de fret, car la densité énergétique plus faible de l’hydrogène par rapport au diesel signifie qu’il occupera plus d’espace de stockage physique à bord.
Réglementation et classification
Comme pour une grande partie de la transition énergétique, les cadres régissant les carburants alternatifs tels que l’hydrogène sont encore balbutiants.
M. Brix rappelle que l’UE travaille actuellement sur la réglementation afin de concrétiser sa vision d’un système de transport fluvial sans carbone en Europe. De même, le Bureau Veritas, qui classe et certifie les navires à des fins d’assurance, n’a publié que récemment ses premières règles de classification pour les navires alimentés à l’hydrogène. Ces règles comprennent des exigences de sécurité pour la gestion de l’inflammabilité de l’hydrogène et des besoins particuliers en matière de stockage.
La création de ces cadres réglementaires sera essentielle pour garantir aux armateurs qu’ils prennent les bonnes décisions lorsqu’il s’agit de protéger leurs navires pour l’avenir.
Pour soutenir les armateurs dans cette transition, des programmes gouvernementaux, comme celui des Pays-Bas, jouent un rôle clé en finançant le développement et l’installation de moteurs à hydrogène. Ces initiatives, couplées à la mise en place de cadres réglementaires par l’UE et des organismes de classification comme le Bureau Veritas, sont essentielles pour préparer le secteur à un avenir sans carbone.
La transition vers l’hydrogène dans le transport fluvial européen est à la fois une opportunité et un défi. Avec le bon soutien, les voies navigables du continent pourraient devenir un modèle de transport durable, contribuant ainsi à l’objectif global de décarbonisation de la société. La route est tracée, mais la collaboration de tous les acteurs sera déterminante pour réussir cette transformation verte.